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Copie de Au pays de maladie 2

  • Photo du rédacteur: Blandine Campion
    Blandine Campion
  • 20 déc. 2022
  • 3 min de lecture

Dans La maladie comme métaphore, Susan Sontag écrit : “La maladie est la zone d’ombre de la vie, un territoire auquel il coûte cher d’appartenir. En naissant, nous acquérons une double nationalité qui relève du royaume des bien-portants comme de celui des malades. Et bien que nous préfèrerions tous présenter le bon passeport, le jour vient où chacun de nous est contraint, ne serait-ce qu’un court moment, de se reconnaître citoyen de l’autre contrée.

Ce voyage au royaume des malades n’est pas de ceux que l’on entreprend le cœur léger, que l’on planifie et dont on se réjouit à l’avance. Je ne crois pas d’ailleurs que le terme de “voyage” soit adéquat pour nommer cette expérience, qui s’apparente davantage à mes yeux à un exil forcé. Dans le meilleur des cas, celui ou celle qui pensait, il y a quelques jours ou quelques heures à peine, appartenir à la grande famille des nationaux, se voit gentiment (vraiment ?) mais fermement guidé vers une frontière qu’il n’aura plus le choix que de traverser, un peu surpris quand même que tout se soit passé si vite. Dans le pire des cas, il ou elle sera violemment arraché-e à son quotidien rassurant et jeté sans ménagement dans la soute d’un navire dont, encore ahuri-e et hébété-e, il ou elle ne connaît même pas la destination.

Non, ce voyage n’est pas de ceux que l’on choisit, on y est contraint. Avec un peu de chance, il sera quasi inoffensif, ne durera au plus que quelques semaines ou quelques mois, et le bien-portant en devenir pourra repasser la frontière dans un grand soupir de soulagement avec, dans ses bagages, quelques souvenirs qu’il placera dans la conversation chaque fois que l’occasion s’en présentera puisqu’après tout, lui aussi y est allé.


Mais les choses ne se passent pas toujours aussi bien, loin de là. Car si l’on ne choisit pas d’entamer ce voyage, on ne choisit pas non plus le trajet, encore moins la date du retour. Oui, parfois, une fois franchie, la frontière s’évanouit sans laisser de trace et plus moyen de retrouver la porte de sortie. La seule option qui reste est de s’enfoncer dans les terres, d’explorer cet espace mouvant, parfois aride, en quête d’un improbable lieu habitable, que l’on ne cessera jamais d’explorer temporaire.

Le “royaume des malades” est, fondamentalement un pays étranger, même si, à première vue on croit (on veut !) que tout y est (y soit) semblable. Pourtant, très vite, on se rend compte que cela n’est qu’une illusion. Ce pays a sa propre langue, ses propres codes, ses hiérarchies, ses propres lois. Comme dans un conte fantastique, l’espace, le temps, la matière y ont leurs propres caractéristiques : l’espace ne s’y déploie pas de la même manière ; le temps ne s’y déroule pas à la même vitesse ; et le corps, le corps...

On n’a pas toujours le temps de se préparer pour ce voyage (et j’aurais même tendance à croire qu’on n’y est jamais vraiment préparé) mais préparé ou non, on emporte quand même à la fois plus et moins de choses que l’on pense. La moindre incursion passée dans cet étrange pays a laissé ses traces dans nos bagages. Une appendicite à 11 ans. Les bonbons que le médecin de famille gardait dans un bocal sur son bureau. Un dentiste particulièrement revêche. Les hallucinations causées par une nuit de fièvre. Tout est là dans nos valises : l’histoire de l’arrière-grand-père mort d’une péritonite, celle de l’oncle diabétique, celle même de notre naissance. Ces histoires, ces récits et ces souvenirs ont façonné notre vision du pays de la maladie et conditionné nos attentes, nos espérances comme nos peurs et nos angoisses.

On y entre nu mais pas sans passé, sans bagages. Tout ce matériau, conscient ou inconscient, conditionne notre attitude : la manière dont on va réagir à l’annonce du voyage, notre résistance ou notre soumission, notre capacité d’adaptation, notre endurance, notre résilience.

La frontière qui sépare le monde des bien-portants de celui des malades a beau être invisible, immatérielle, mouvante, elle n’en est pas moins très réelle, incontournable. On ne la voit pas, on ne peut pas la toucher du doigt et pourtant, impossible de ne pas se rendre compte qu’on l’a traversée.

Mais où se trouve cette frontière ? Quand la franchit-on ? À la première montée de fièvre ? Au moment où l’on prend le téléphone pour fixer un rendez-vous avec le médecin ou quand l’idée germe en nous de la nécessité de ce rendez-vous ? Quand on passe les portes du cabinet médical ? Au premier ou au second rendez-vous ? Avant ou après les premiers tests sanguins ?

Quand devient-on cette “ombre” du bien-portant qu’est le malade ? Quand on se pense tel ou bien quand on nous étiquette comme tel, le tampon “malade” à l’encre rouge appliqué sur le front ?

 
 
 

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